Cette première nuit fut aussi profonde que l’océan. Pourtant, je me réveillai épuisée. Je soupçonnais un contre-coup de ma précédente sieste nocturne.
Bien décidée de partir sans bruit, je quittais Agüimes sur les coups de 9h, en direction du GR-131 de la Cran Canaria.

Le sentier était mal tracé et les broussailles empiétaient ce mélange de terre brune et de roche volcanique.
À chaque pas, des créatures dont je ne saurais donner le nom, s’agitaient dans ces fourrés rêches et stériles.
Je n’étais pas vraiment confiante dans ma progression. Je n’osais imaginer les bêtes qui se trémoussaient, en priant qu’il n’y ait pas de serpents au venin mortel prêts à bondir sur mes chevilles dévêtues.

Le chemin longeait Guayadeque Ravine, un petit ruisseau calme et tranquille.
Je m’apaisais au fur et à mesure de mon avancée, bien que les rayons impitoyables du soleil frappaient ma peau blanchâtre férocement.

Doucement, je m’élevais. Plus je prenais de la hauteur, plus la sérénité m’envahissait devant la beauté des paysages qui se dévoilaient à moi.
Je traversais une forêt de pinacées aux pommes de pins gigantesques. Puis, un décor plus désertique se dressa devant moi. Des collines aux herbes jaunes, brûlées par le climat, des arbres d’un vert flamboyant, le noir des montagnes, sublimées par le bleu intense du ciel.

Soudain, j’arrivai sur les crêtes dégagées laissant place au fabuleux spectacle de l’océan épousant les côtes de l’île. Tout un univers d’une élégance remarquable se trouvait sous mes yeux. Je ressentais les premiers frissons de mon expédition. J’avais très peu parlé depuis mon départ et je restais tout autant sans voix.

Je ne croisais personne. Étais-je la seule à m’aventurer dans les méandres sinueuses à la seule force de mes jambes ?
Le silence était méditatif et me rendait davantage contemplative.

À mon arrivée à El Pico de Las Nieves, considéré comme le plus au sommet de l’île à 1949m, la foule de touristes contrastait terriblement avec ma solitude des heures précédentes.
J’admirai prestament la vue, avant de fuir ce nuage de visiteurs bruyants.
Pouvait-on réellement devenir sauvage aussi vite ? C’est concentrée sur mes pas, que j’entamais la descente.

Dans cette majestueuse auberge reculée, des musiques aux sonorités de bols tibétaient résonnaient dans l’enceinte del patio. Ces mélodies me plongèrent dans un recueillement spirituel, m’emportant dans une enveloppante quiétude.

Pour la nuitée, nous nous retrouvâmes à trois. Tahi, Tom et moi. Nous étions comme une famille privilégiée s’étant donnée rendez-vous dans cette superbe demeure.
Ces deux anglais qui ne se connaissaient pourtant pas auparavant, étaient joviaux et bavards. Je pris soin de me retirer le temps de me débarrasser de la poussière accumulée sur ma peau et de laver soigneusement mes habits à la main.

N’ayant ni eau, ni nourriture avec moi, telle fut ma surprise lorsque Tom vint me chercher, un grand sourire aux lèvres. Accompagné d’un geste de la main, il me lança : « Come ! It’s time to take energy ! ». Je restai béante. Sur la terrasse se trouvait notre repas joliment dressé qu’ils avaient préparé avec soin. Cette attention me toucha plus que de raison. Je n’avais plus l’habitude de ces généreuses faveurs spontanées.

Tout comme un accord fondamental, notre trio se composait de trois notes parfaitement complémentaires.
Tahi était pleine de vie et un tantinet exubérante. Tom, quant à lui, était attentif et prévenant.

Pour ma part, alanguie de ma journée, je restais sur la réserve, les écoutant sans prendre part à la conversation. Je riais volontiers dès lors que l’occasion se présentait. Tom qui me jetait fréquemment des regards discrets en coin, ne manquait pas de m’interroger. C’était le genre de personne qui liait les gens entre eux, intègre et inclusive, veillant à ce que chacun se sente à l’aise et à sa place.

Après quelques parties de fléchettes et des fous-rires à n’en plus finir, je les remerciai chaleureusement.
Tahi valida ma reconnaissance et affirma que le plaisir était partagé. « Elle n’avait pas l’habitude de prendre soin des autres, trop occupée à penser à elle. »

J’étais stupéfaite de sa réponse, mon altruisme souvent surchargé d’offrir de son temps et de son énergie, plutôt qu’à s’accorder des minutes de répit.
Sur cette pensée, je me retirai dans ma chambre, prête à succomber à mes songes.