4h30. Le réveil est brutal. J’ai l’impression que mes paupières viennent de se fermer et la toux de s’espacer.
Depuis qu’elle est partie vers d’autres horizons, mes bronches sont en feu. Dans les mœurs énergétiques, les poumons représentent l’organe de la tristesse. Rien d’étonnant. D’habitude robuste aux microbes, l’affecte de sa perte, n’a pas manqué de se frayer dans la faille de mon équilibre dernièrement bancal.
Ma santé est mise a rude épreuve. Mes baskets en berne s’attristent, faisant connaissance de la poussière latente jusqu’alors méconnue.
J’enfile péniblement ma tenue de trail avec une lenteur certaine. J’agrémente ma coiffe, de ma casquette noire, trônant sur mes soyeux reflets roux harmonieux.
Hier encore, j’appréhendais ce départ, comme si voyager pouvait s’oublier. Pourtant, ce matin, je me sens apaisée.
Tout est immobile dans la nuit parsemée des lumières colorées clignotantes des devantures déparayées.
Seules mes plaisanteries avec mon adorable chauffeur paternel personnel, romptent le silence solennel.
Je l’embrasse avec conviction avant de claquer la portière.
5h50. Il ne faut pas que je tarde, les portes d’embarquement se fermeront dans 20 brèves minutes.
Je presse le pas munie de mon sac à dos ridicule où quelques affaires non chalemment bourrées attendent patiemment froissées.
À l’aéroport, je constate que mon allure atypique intrigue. Les coups d’œil discrets, aux torticolis curieux, se multiplient sur mon passage déterminé. Les sportifs assumés harpentant les tapis roulants de ces longs couloirs immaculés se font rares.
Dans la file de sécurité, j’écoute, j’observe. Je m’amuse à deviner les traits de caractères et les personnalités camouflés sous les apparences plus ou moins embellies des autres voyageurs.
Je me surprends à sourire. J’ai le coeur ouvert. Je constate, que depuis mon radical changement de vie, je me sens à ma place. Je m’affirme dans mon incarnation. Une sensation nouvelle et terriblement addictive.
Ce look, cette vie en montagne, cette solitude incarnée en nature.
Chaque jour, la gratitude m’habite pour ce qui m’est donné de vivre, savourant pleinement ce renouveau que je n’osais plus que timidement espérer.
Pourtant, dans cette grande vitre impeccable où se lamentent les gouttes ruisselantes de l’orage, mon reflet indépendant et assumé sonne incomplet. Leurs regards appuyés se questionnent. L’incompréhension des passagers comme une dissonance que jeune et mignonne, je m’aventure inaccompagnée. Leurs interrogations fêlent ma certitude, le doute s’immisçant vicieusement dans mes réflexions. Après tout, ils n’ont pas tort. Qu’est-ce qui cloche ? L’écho de ce mystère complexe absurde et non résolu résonne dans ma tête.
Dans la foule, entourée de tous, je conscientise, comme la découverte d’une terre neuve, mes atouts fermement ignorés jusqu’alors. Stable, calme, douce, attentionnée, aimable, disponible, sans compter les valeurs de générosité, d’altruisme et d’intelligence que m’ont inculqueées mes feus grand-parents.
Cette pensée fait l’aller-retour dans mon esprit. Où est cet homme farfelu, équipé de ces mêmes vêtements techniques, les cheveux ténébreux indomptables, les yeux pétillants reflètant l’immensité de son âme ? Souriant de malice, il se blottirait contre moi dans un accord complice, décidé à se reposer paisiblement, le hublot projettant la danse angélique des nuageux cotonneux sur son visage serein.
Dans cet écrin attendrissant, je l’admirerais, appréciant la justesse de sa peau, incapable de laisser ce spectacle se dérober sans en apprécier la beauté. Chaque cellule de mon corps respireraient la plénitude de cet instant précieux fugace, avec la sensation d’être la plus chanceuse de toutes.
Ce serait donc ça un supplément de bonheur ? Aimer et être aimée dans une simplicité tendre ? S’abandonner à sentir ses ailes se déployer dans la valse d’une romance idyllique ? La perfection est surcôtée devant les sentiments que notre autre est capable de nous faire ressentir, l’exigence futile face aux émotions.
Mais n’est-ce pas cette vibration vivante qui nous rend plus humains, plus humbles, plus ouverts à la rencontre de l’autre ?
Divaguant dans cette mer blanche inanimée, je me prends à rêvasser le coeur léger. Au loin, je devine des formes voluptueuses se mouvant comme des félins tapis près à bondir furtivement.
Soudain, le tintement du voyant me ramène à moi. 4h se sont écoulées.
Je regarde mes voisins, détaillant leurs contours comme s’ils s’étaient métamorphosés de chenilles à de drôles de papillons incoutumés, visiblement champions du cocon et de la mue.
D’un mouvement de main rapide, je chasse les restes persistants de ces enfantillages fabulés.
Loin de moi la vie de princesse, chérie de son cavalier.
Je boucle ma ceinture amusée de son inutilité.
Il est temps de redescendre sur terre.
Bienvenue sous le soleil de Las Palmas.