Quel choix !
J’avais opté pour un crochet par le Barranco de Azuaje !
Où en étais-je ?
Au fin fond d’une vallée, avalée dans un gouffre sombre terrifiant et humide.
J’étais descendue si bas que je peinais à voir la lumière du jour.

J’avais décidé de suivre un trace incertaine, probablement dessinée au tranchant saillant d’une machette.
Je m’aventurais à nouveau sur un terrain hostile complexe.
Encore une fois, personne.
S’il m’arrivait malheur, nul ne saurait où me trouver.

Dans ce contexte menaçant, une pensée alla à mes parents.
Je les avais longuement rassurés.
Ils me croyaient sagement visitant quelques villes espagnoles comme une quelconque touriste.

J’étais tout sauf quelconque.
J’étais une fille qui bouleversait.
Avec mon tempo effréné, il fallait s’accrocher.
Mon ambition élevée allait de paire avec une prise de risque considérable.
Je savais qu’à l’avenir, il me faudrait un coéquipier stable, souverain de ses peurs et en mesure de me tempérer avec cohérence.

La peau marquée des herbes acérées comme des lames, je m’adonnais à un combat acharné. J’étais rampante dans un trou sinistre sous les branches mortes, les blocs rocheux effondrés, mes pieds s’enfonçant indécemment dans une boue brune visqueuse.

Seule au fond de ce vide monumental semé d’embûches, je tressaillis plus d’une fois lorsque les fourrés denses s’agitaient sans que je puisse distinguer la dangerosité des bêtes s’y trouvant.

J’avais parcouru seulement 3 km et je me sentais à bout de forces.
Impossible de capter la moindre indication GPS. Je me devais de rester focus.
Je ne pouvais rebrousser chemin, connaissant l’envers du décor et les obstacles qui s’y dressaient.
C’est donc pleine d’espoir, que je me lançais corps et âme perdus, en quête d’une issue salvatrice de cette jungle éreintante.

Ce qui me surprenait, c’était ma capacité à m’adapter à toutes les situations sans être destabilisée. Même dans une telle mise en danger, j’étais concentrée, constante, faisant preuve d’une pleine maîtrise.
À aucun moment je ne doutais de m’en sortir. Je fournissais les efforts nécessaires pour avancer, persévérant face à l’adversité.

C’étaient les aléas du voyage improvisé, alternant d’un jour à l’autre, du merveilleux à l’accablant. Cette lutte signerait dans ma mémoire l’empreinte indélébile de sa griffe.
Je considérais les apprentissages inédits du jour. Ils me rappelaient l’importance de l’anticipation et celui de canaliser son entêtement.

Devant fréquemment changer de trajectoire, ma randonnée avait été rallongée de deux heures cruciales.
Je remerciais les nuages de s’être rassemblés pour m’épargner d’une chaleur qui m’auraient anéantie. J’aurais connu un desséchement intégral comme un lézard resté trop longtemps à dorer sur sa pierre.

Le souvenir me revint que j’étais partie avec un maigre demi-litre d’eau.
J’attrapai ma gourde, laissant perlé le long de ma gorge de fines goutelettes de ce fluide vital hydratant.
Hors de question de céder à plus.
Les 30 km restants risquaient d’être longs.

Je me sentais exténuée mais ma passion pour l’inconnu captivait toute mon attention.
J’observais sur mon itinéraire, des particularités qui me semblaient exceptionnelles : des ruches installées au milieu des falaises ou encore des culture de citrons en plein milieu du relief montagneux.

Toujours dans le plus solonnel des silences, mes réflexions reprirent.
Ma maman me répétait fréquemment : « Qu’as-tu à te prouver ? »
Sous cette remarque, je me sentais incomprise. Ce n’était pas le regard que j’avais.

Lorsque je partais spontanément à l’aventure, je vibrais au rythme des découvertes improbables.
Je dépassais des schémas de pensées, des croyances acquises de mon éducation, de ma culture, de mon vécu. Les aléas inopinés qui se manifestaient étaient pour moi source de satisfaction. Non pas sur l’instant, mais dès lors que je m’en extirpais inextremiste.

Avec les mises à l’épreuve déjà surmontées, j’étais consciente de ce que je pouvais endurer. Cependant, je m’étonnais chaque fois davantage de la multiplicité des contextes.
Je me sentais plus aguérrie, plus résiliente, grandie pour accueillir la vie, comme on valide des niveaux dans un jeu.
Je gagnais en confiance, en appréciation, en estime de moi-même.
Ces contingences scellaient ma valeur.

Je revins à moi subitement, lorsque je m’aperçus que la nuit tombait. J’étais toujours isolée en pleine forêt.
Je décidais de rester alerte, épargnant le peu d’énergie qu’il me restait des ruminations persistantes.

Mes mollets me tiraient.
Je vérifiais mon téléphone au constat désolant : 15km, 10% de batterie, pas de lumière.
Mon temps était compté : j’avais moins d’une heure avant que le jour ne s’efface. D’ailleurs, la lune me souriait déjà du ciel.

Des panneaux triangulaires interdisaient le passage. Les rochers suspendus étaient impressionnants et risquaient de rompre.
Je ne pris pas la peine de tergiverser.
Il fallait que j’avance coûte que coûte.

Ma seule motivation était de regagner une route au plus vite.
Il m’était insupportable de m’envisager errante dans l’abîme effrayante des bois serrés. Me réfugier dans une des grottes que je dépassais, m’inspirait guère.

Un voile nuageux remontant de la mer, venaient subtilement épouser la montagne. Tout était noyé de blanc.
Seul mon chemin délimité par de grands arbres protecteurs couverts de mousse, était distinguable.

Deux interminables virages de cette trace carrossable me séparaient de la voie de passage. J’implorai l’univers qu’elle soit fréquentée. Elle ne le fut pas.

Acharnée, je décidai de poursuivre avec élan sur la chaussée. Consciente du dénivelé subsistant, le STOP était mon dernier recours. Il faisait désormais une obscurité absolue. Je progressais depuis plus d’une demi-heure dans un aveuglement complet.

Je savais que le moment était venu de faire ma demande, avec toute ma conviction. Sans intention, rien ne surviendrait. Tout mon être implorait les forces de l’invisible de sa prière : « S’il vous plaît, envoyez-moi de gentilles personnes véhiculées pour me venir en aide. »

Rien ne vint à moi. C’est intuitivement que je me dirigeais vers eux.
Sur un mirador, ils avaient observé le coucher du soleil, espérant capturer les plus beaux clichés.
C’était le couple bienveillant tant espéré. Elle, enseignante, lui, médecin, tous deux passionnés de photographie.

C’est l’âme suppliante, que je me présentai devant eux. Aucun mot n’était nécessaire. J’étais entièrement exposée.
Ces deux êtres plein de douceur naturellement m’embarquèrent et furent le détour pour me déposer dans mon logis d’accueil reclus.

J’arrivai pitoyable, les lignes de sel sur mes joues rosies et horizontalement esquissées sous la ligne de ma poitrine trahissaient mon effort.
Au-delà de sa dureté, je venais d’achever une journée éprouvante de 45 km dont 2500 D+.
Sans le vouloir, je venais de valider un pallier d’accomplissement supplémentaire. Surtout, j’étais saine et sauve.